Les graleurs

SUZY PALATIN

08-05-2015

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David Japy Le meilleur des Antilles Suzy Palain Larousse

LE COCHON DE PAPA VIVIE

Suzy Palain a été récompensé par l’ADG d’un Gras d’Honneur 2014. SP est un écrivain-culinaire auteur d’une dizaine d’ouvrages. Dans ses deux premiers livres « Gourmande et créole » et « Le meilleur des Antilles » Suzy livre avec générosité les recettes de plats issus de son héritage familial, mais aussi des recettes très personnelles qui témoignent de sa véritable signature, elle est une cuisinière aguerrie. Son ami Pierre Hermé décrit ses frites comme les meilleures du monde et qu’il faudrait ériger une statue à Papa Vivie pour son cochon c’est pour peu dire…

« Voilà mes amis tout arrive à point à qui sait attendre… »
Mais, moi, je n’attendais rien…
Croyez vous que, lorsque dans ma petite enfance je m’asseyais avec mon grand-père pour dévorer avec lui le cochon qu’il avait cuisiné dans un bouillon clair, je pensais recevoir un jour un prix pour ce plat ?
Bien sûr que non !
Et pourtant ce mets que préparait mon grand-père je le trouvais absolument merveilleux.
Je sais je sais dans le cochon tout est bon, tout est tellement bon que j’aurais pu me laisser aller à rêver à un oscar du cochon. Mais non, pas jusque là, pourtant j’étais déjà une incorrigible rêveuse et malgré mes inaptitudes pour l’art culinaire je voulais tellement égaler ma mère LA cuisinière entre toutes. Mais quelle prétention aurait on pu me dire. Ce à quoi j’aurais répondu, tous les rêves sont permis !!! Je vous l’avoue je ne savais rien faire dans une cuisine… Comme quoi il ne faut jamais abandonner ses rêves !

Papa Vivie servait son cochon avec des patates douces ou du fruit à pain ou encore des madères de gros tubercules à chair violette plus connu sous le nom de taros et toujours une délicieuse sauce aux oignons.
Puis, j’ai grandi, j’ai continué à chérir ce plat, je le trouvais tellement fantastique je me disais que face à lui j’avais gardé mon cœur d’enfant forcément j’en rajoutais, je l’idéalisais… Puis l’instant d’après je réfutais in petto que « le cochon de Papa Vivie » avait sa place au panthéon de la gastronomie… Etais-je impartiale ? Qu’elle était la part de vérité et la part de subjectivité ?
Etant incapable de répondre à ces questions, je n’ai jamais cherché à fédérer un seul gourmand avec ce plat qui touchait trop à l’intime. L’incompréhension qu’il aurait pu rencontrer m’aurait désespérée. Je ne voulais surtout pas le soumettre au jugement d’un gastronome pas assez éclairé  pour l’apprécier risquant ainsi de l’assombrir et le ternir à jamais.
Puis un jour FeGH me fait goûter un pot-au-feu indonésien.
Je vais faire très attention à ce que je vais dire : ce pot-au-feu me rappelle quelque part, un tout petit peu, le Cochon de Papa Vivie qui évidemment est incomparable. Allez, il en a un faux-semblant. Je me sens pousser des ailes… Si mes amis aiment le pot-au-feu indonésien ils vont adorer le cochon de Papa Vive !!!
Je m’étonne et lance à la tablée : Je vous invite tous à goûter le cochon de mon grand-père !!
Je regrette à la seconde ce que je viens de dire.
Ce plat je le gardais jalousement pour moi et ma famille je ne pensais pas qu’il pouvait faire des adeptes c’était notre moment à nous Papa Vivie et moi et par extension notre spécialité familiale à nous. Moi qui raffole des grandes tablées j’avais renoncé à le partager hors du cercle strictement familial.
Quelques cives, un piment antillais, deux branches de persil, un oignon quelques clous de girofle jetés dans l’eau avec le cochon salé par les soins de mon grand-père. Mais qui à part nous, la famille, qui allait savoir aimer ce plat ?
Je suis en apnée totale lorsque mes invités arrivent.
Environ deux heures plus tard les assiettes sont vides. Il ne reste plus un morceau de cochon, plus une seule frite.
Eh oui ! Je l’avais accompagné de frites à la demande générale.
Ils ont tous adoré !
FEGH dit : « c’est un très grand plat » Pierre Hermé renchérit : « il faudrait élever une statue à Papa Vivie pour ce plat ! »
Les nouvelles vont vite, le «Cochon de papa Vivie » s’invite à toutes les tables et se vautre dans bien des livres. FEGH et Hélène Darroze lui ont ouvert leurs pages pour ne citer qu’elles.

Quelques années plus tard à l’Amicale du gras Pierre Hermé me remet mon prix et me chuchote à l’oreille : « Tu vois Papa Vivie a sa statue »
C’est vrai. J’ai mon cochon dans les bras, il est beau, et c’est pour la vie.
Toutes les femmes sont jalouses de moi !