Les graleurs

04.05.2015

Hervé Ternisien Culinaire Design Marc Brétillot Alternenatives

ELIARD FILS, CHARCUTERIE DE FAMILLE

Ce plasticien de lard comestible est un fervent souteneur de l’ADG. Enseignant à l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Reims, où il a créé un atelier de design culinaire, Marc Brétillot propose ses créations dans le monde entier. Marc est un aventurier du goût, qui a de multiples références : la nostalgie de la cuisine bourgeoise (élevé dans la campagne soisonnaise, il ne connut le yaourt industriel que sur le tard), son goût pour la poésie ou bien le rock, il fait partie d’un groupe nommé les Equarisseurs.

« Le vase, cassé, les haricots y en a plus bésef, voilà Soissons, t’y vas pas pour la villégiature.

100 bornes au nord nord est de Paris, l’ancienne route capitale Belge… avant l’autoroute, la j’veux dire, t as qu’à voir !

Ça fait un bail, les heures glorieuses avec son Lion d’or bien replet, et l’industrie pneu fonte produit verrier, tous partis, presque, pfuuttt !

Je suis de l’étape c‘est comme ça ! mais y reste un truc chouette comme dans toute bourgade de moins de 30.000, la grande foire du samedi matin. Ah ! la belle halle de la reconstruction, brique et fonte. En pourtour des auvents, larges casquettes haubanées protégeant de l’atmosphère, comment dire, légèrement légèrement aqueuse (c‘est pas la Riviera Méditerranée ! ) les fruits et légumes de plein air. Au coeur tiède, sous la voûte haute comme 3 maisons: viande b.o.f.

Ça caquette sévère, apostrophe à tout va, à qui mon Maroilles, à qui mes champignons de la nuit, asperges du petit jour, radis pas cher. De tous les étales il y en a un qui attire plus. Une prolixe queue verbeuse s’y masse comme à Moscou. Eliard fils, écrit en lettres rouges au fronton de l’échoppe. Ces artisants commerçants  viennent d’Urcel plus au nord encore, bordant le chemin des dames, chantant Craonne: Adieu la vie, adieu l’amour, Adieu toutes les femmes. C’est bien fini, c’est pour toujours, De cette guerre infâme.

Eliard fils, Charcuterie de famille, les frangins à la feuille, la mère au tiroir, les loupiots à l’emballé c‘est pesé.

Le jour de la grand messe à l’emplacement s’y deal jambon à l’os au poil, p’tiot filet drôlement mignon séché fumé, boudin sombre au mètre, andouillette charnue difforme boursouflures savoureuses. Tout en allant après la vitrine du cochon frais, train de côtes, gras de ventrèche,  la vitrine aux saucisses sans chichi des rubans de chipo aux herbes aux piments à même l’inox sans aucune forme de pudeur. Au milieu des cochonnailles perdues un large plat de singe* cubes en vinaigrette échalotes, seule note d’exotisme improbable au pays du Grognant. Goûte z’y qui dit l’garçon chaircuitier entre 2 patients. Ça picore dans la procession patiente, et se lèche les doigts comme un communiant.

Mon zingue, ce que j’aaaime par-dessus tout, c’est le petit salé de travers. Ma dose de grassouillette bidoche fondante et rose, ma piquouse de caresse saumurée avec ses osselets tout trognons à éroder avec délectation, qu’on dirait des berlingots du bonheur.  Et les rayures régulières de gras blanc et maigre rose que si  Buren n’a repompé le truc, qu’on me les coupe, les cheveux et bien rasibus et sur-le-champ.

Après que t’as bien chargé le cabas (à tenir un siège, à te caresser la panse une semaine sans détriquer du palais),  tu passes à la caisse, du cash trébuchant sinon rien, pas ça, pas un lardon, pas de carte express d’américain ni de chèque douteux… Jambier 2000 francs, jambier 2000 francs Nom de Dieu !

* singe
Appellation commune des poilus français pour désigner le boeuf pressé saumuré en boite métallique appelé aussi corned beef.
L’appellation serait née au xixe siècle, lorsque les soldats français en poste en Côte d’Ivoire auraient été réduits à manger de la viande de singe. D’aucuns pensent que l’ étiquette sur boite de corned-beef représentait l’animal. D’autres encore rappellent qu’un ouvre-boîte faisant partie du paquetage réglementaire en 1916-1918 portait la marque « Le singe ».
chacun le sien et les cochons seront bien gradés ! »